Les textes de Rammstein, s'ils
présentent un intérêt particulier à être étudiés pour
eux-mêmes, entrent chacun dans la thématique de l'album auxquels
ils appartiennent. C'est pour cela que je vais proposer, pour chaque
album, une étude d'ensemble. Cela permet aussi de comprendre les
textes par rapport à un tout et de mettre en valeur les trames
thématiques propres à chaque opus, et qui rythment l'oeuvre entière
du groupe.
Herzeleid
– Peines de cœur
Le premier album semble aborder un
thème facile, mainte et mainte fois analysé, distillé, par les
poètes, les chanteurs. Selon les membres du groupe eux-même1,
chacun s'est trouvé, au moment où il ont composé cet album, à la
fin d'une relation amoureuse. Pas besoin d'entrer dans le détail des
textes pour comprendre que l'amour fait mal...
Ce thème, (trop?) classique, a été
traité d'une manière très novatrice dans l'écriture. Rammstein
n'aborde pas seulement la mélancolie ni le dégout de soi face au
rejet de l'être aimé, le groupe montre ce que l'amour à de violent
et affirme, dès le premier titre que « Liebe ist Krieg –
l'amour est une guerre ». Ainsi dans « Wollt ihr das Bett
in Flammen sehen ? », nous comprenons qu'amour et sexe
sont indissociables et qu'ils sont rattachés à la violence du feu,
feu métaphorique de la passion, et au sang, à la douleur. Le lit
des amans est le lieu d'un crime. On retrouve cette thématique dans
« Das alte leid », chanson dans laquelle Lindemann
affirme : « Et sur la couche la même guerre fait rage /
Qui consume encore mon coeur ». Dans ce même texte, il évoque
l'image d'un « jeune corps » qui « pourrit sur la
couche ».
Dans cette même thématique de l'amour
comme un bataille, une guerre nous pouvons rattacher « Du
riechst so gut », évoquant une traque et un viol. Chez
Rammstein, nous pouvons affirmer que l'amour est pulsion (sexuelle,
mais pas que), une pulsion qui n'a pas même les limites de la mort.
L'amour est associé à la mort au
point de donner vie à une scène de nécrophilie dans « Heirate
mich ». Ainsi l'amour, quand il est associé à la perte et au
manque, pousse à la folie comme un « Mal ancien – Das alter
leid ». Et cette folie qu'est l'amour amène à la mort, comme
dans un éternel recommencement. « Weisses Fleisch »
narre un meurtre : la pulsion amoureuse et sexuelle prend le
dessus sur la raison, le narrateur parle de « [son]
cerveau malade » qui le pousse à faire des « Marques
rouges sur le blanc de [la] peau » de la femme aimée.
Cette
association amour – mort – violence va jusqu'à l'expression du
dégoût de soi dans « Laichzeit ». Ce n'est pas la haine
de soi parce qu'on a été rejeté par l'autre, mais le dégoût
d'être naît de ces pulsions macabres et lubriques. À travers cette
chanson transparaît aussi la thématique de l'insecte qui aura sa
place et dans Sehnsucht.
Si
cet amour destructeur est à la source de la vie, Rammstein va
jusqu'à affirmer que l'Apocalypse sera déclenché par les peines de
cœur dans « der Meister ». D'ailleurs, cet aspect
biblique se retrouve lorsqu'ils font de la scène de la Passion du
Christ une métaphore de l'acte sexuel destructeur dans « Asche
zu Asche ». Pourrait-ont aller jusqu'à dire que le seul dieu
c'est l'amour dans sa violence la plus extrême ?
L'amour
n'est-il que violence et mort ? « Seemann », au
centre de l'album, semble apporter un peu de répit dans ces pulsions
amoureuses et sexuelles. Mais lorsque la violence s'efface, elle
laisse place à la mélancolie la plus profonde, au spleen, à la
solitude. Et il ne reste plus que cette sensation de « froid ».
Au
cœur de cette apocalypse amoureuse et sexuelle, « Herzeleid »
sonne comme un message d'avertissement. Ses premiers mots sont :
« Gardez-vous bien / Des peines de coeur », comme si
Rammstein s'adressait à ceux qui n'ont jamais connu ni l'amour ni le
sexe et leur disait de bien s'en préserver. À la lumière de la
chanson « Herzeleid », l'album entier apparaît comme une
mise en garde contre l'Amour qu'ils décrirons dans Reise,
Reise
comme une « bête sauvage » prête à nous dévorer.
Toutefois,
de ces constats pessimistes sur l'amour, l'album a bel et bien un
message positif. Ils l'ont gardé pour la fin avec « Rammstein »
que j'interprète, à la lumière de ce nous venons de constater,
comme un éloge à la création artistique. Oliver, dans l'interview du Live
aus Berlin
affirme que de la souffrance naît la création. Ainsi, c'est parce
que chaque membre du groupe à subit des peines de cœur qu'ils ont
pu créer, écrire, composer cet album, pourrait-on même aller
jusqu'à dire fait naître Rammstein. C'est en ce sens que le message
de cette dernière chanson est positive : l'amour et le mal qu'il génère est source de création.
Dès
leur début, Rammstein montre la femme comme l'ennemi de l'homme dans
le sens où elle fait naître en lui ce qu'il a de plus noir et de
plus violent, elle est à l'origine de ses souffrances. Toutefois,
pour faire face à cela, l'unité et l'amour inconditionnel et
idéalisé des membres du groupe entre eux s'affirme comme un remède
qui se traduit par l'acte de création.
1Cf
interview du Dvd : Live aus Berlin
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