Les textes de Rammstein, s'ils présentent un intérêt particulier à être étudiés pour eux-mêmes, entrent chacun dans la thématique de l'album auxquels ils appartiennent. C'est pour ce la que je vais proposer, pour chaque album, une étude d'ensemble Cela permet aussi de comprendre les textes par rapport à un tout et de mettre en valeur les trames thématiques propres à chaque opus, et qui rythment l'oeuvre entière du groupe.
Reise, reise – Voyage, voyage
Dans ce quatrième album, Rammstein
nous invite au voyage. Le mot est répété à deux reprises, comme
pour le mettre au pluriel : ainsi, ce n'est pas seulement un
voyage physique que le groupe nous demande d'entreprendre, mais un
voyage au cœur des âmes, au sein des cœurs. Album de la maturité,
Reise, reise, propose aussi
un point de vue engagé et critique sur le monde. C'est sous ce sens
multiple que s'ouvre cet opus, puisque « Reise, reise »
fait la narration de deux types de voyages en mer : voyage
physique et voyage engagé, puisque Lindemann nous propose ici un
texte pacifiste, « Et
les vagues pleurent doucement /[…]/ Elles se vident de leur sang
sur la rive ».
Nous
parcourons physiquement le monde, et visitons les deux grandes
puissances du XXème siècle : « Amerika » et
« Moskau », sont au centre de l'album. « Moskau »,
la prostituée vieille et fatiguée et pourtant si attirante,
s'oppose à « Amerika » qui « est merveilleuse »
et éternellement jeune et puissante. Cette grande puissance s'impose
à nous, au monde, prête à nous étouffer, alors que, Moscou, la
perdante, la déchue, nous « tient en haleine » et nous
attire même si elle est physiquement laide.
Ce
thème de la beauté intérieure est au cœur du voyage de la
maturité, puisqu'il va également être le thème de
« Morgenstern ». Le groupe a muri, le voyage de la vie
les a formé, leur a apprit à « Voir avec le coeur » :
ils savent désormais que la beauté extérieure n'est rien face à
celle de l'âme.
L'amour
(toujours l'amour !) va lui aussi être traité comme un voyage
psychologique. L'expérience de l'amour nous fait avancer, voyager en
nous même. Et comme d'habitude chez Rammstein l'amour il y en a pour
tous (préfiguration de Liebe
ist für alle da...)
et sous toutes ses formes. La chanson « Amour » le
représente comme « une bête sauvage » qui nous séduit,
nous blesse et fini par nous tuer, parfois. Depuis les premiers
albums, Herzeleid
et Sehnsucht,
Lindemann a gagné en maturité et à su prendre du recul sur le mal
que l'amour peut nous faire : tout n'est plus la faute de l'être
aimé, mais l'amour lui même est identifié comme un mal, une bête.
Métaphoriser l'amour est un acte qui montre le chemin parcouru,
l'intérêt du voyage de l'existence.
Mais
l'amour continu d'être associé à une certaine violence dans « Mein
Teil » et « Stein um stein ». Le fais divers de
Rothenburg relaté dans « Mein Teil » est bien une
histoire de sexe : on notera l'intérêt de choisir le mot
« membre » désignant le sexe et la pièce de viande.
Nous ne nous éloignons pas pour autant de la thématique du voyage :
Rammstein explore les fonds les plus sombres de l'être humain,
lorsque l'acte amoureux blesse et tue. Le même constat et les mêmes
remarques sont valables pour « Stein um stein » :
même lorsqu'on veut le bien de l'autre, « Je vais te
construire une maison », on lui fait du mal, « Pierre par
pierre / Je vais t'emmurer ».
Aimer
jusqu'à tuer est explicitement associé au voyage dans « Dalai
Lama » qui raconte un voyage en avion dans lequel se trouvent
un père et son fils. « La tempête étreint l'appareil »
et le père, par amour et pour protéger son fils va lui ôter le
vie, « Fait sortir l'âme du corps de l'enfant » en
l'étreignant trop fort.
Le
dernier voyage dans le cerveau humain que nous propose Rammstein dans
cet opus est « Keine lust ». Le narrateur, obèse, nous
décrit son mal être, ses envies qui n'en sont plus vraiment, son
mal de vivre. La chanson est un voyage au cœur du paradoxe :
« Pas envie de sortir de la neige / Pas envie de mourir de
froid ». Mais au delà de la description des pensées de ce
narrateur obèse, c'est aussi un voyage dans la paradoxe de la vie
qui est à la fois tout et son contraire, absurdité : nous
naissons pour mourir, ce qui est un non sens.
Enfin,
le groupe nous emmène pour un dernier voyage, plus personnel :
leur voyage à eux. « Los » et « Ohne dich »
parle de Rammstein : du voyage parcouru depuis les débuts
jusqu'à la relation des membres entre eux. Comme pour « Keine
lust », « Ohne dich » est basée sur un paradoxe.
Si à la première lecture le texte traite d'un amour perdu, il
exprime le fait que les membres du groupe ne peuvent se passer les
uns des autres, « Sans toi je ne peux pas être », mais
qu'il est également difficile d'être ensemble, « Avec toi je
suis seul aussi ». Cette chanson matérialise, avec le recul
nécessaire, les difficultés qu'ils ont traversé pendant la période
Mutter, en
ce sens elle est aussi symbole de maturité, ce qui ne tue pas rend
plus fort. C'est sans doute ces difficultés qui sont également
évoquées dans « Los », mais c'est surtout un texte qui
fait le constat du voyage que le groupe a parcouru. À leurs début
ils étaient « sans nom / Et sans chansons » mais ils ont
su se construire et avancer, traverser les difficultés et désormais
ils, peuvent le dire « Vous ne vous débarrasserez jamais / De
nous sans bruit ». À la fois constat du chemin déjà
parcouru, « Los » affirme que pour Rammstein, le voyage
ne fait que commencer : « C'est parti ! ».
Reise,
reise, dans tous les sens du terme : Rammstein nous fait
parcourir le monde et explorer les fonds de l'âme humaine, ils
livrent aussi un peu de leur propre voyage. En ce sens cet album est
celui de l'âge adulte. Le groupe à traversé les tempêtes de la
vie au sens le plus large, et si toutes les blessures ne sont pas
cicatrisées, celles de l'amour notamment, elles les rendent plus
forts. Alors que Mutter
entreprenait un voyage dans le passé, Reise,
reise
nous invite à les suivre dans les voyages présents et à venir. En
effet, l'aventure n'est pas terminée : Rosenrot,
dont les chansons ont été composées au même moment que ce
quatrième album, présentera la suite du voyage...
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