Sehnsucht – Désir/Nostalgie
Dans la continuité de Herzeleid,
ce second album explore les voies de l'amour et du sexe dans ce
qu'elles ont de plus douloureux. Sehnsucht, mot n'ayant pas
d'équivalent en français, exprime un désir ardent et douloureux,
ainsi que la mélancolie. La langue allemande lie de manière très
intéressante ces deux aspects, comme pour exprimer que le désir est
une sensation complexe, entre excitation, frustration et tristesse.
« Sehnsucht », premier
extrait, nous guide immédiatement dans cette direction, puisque le
narrateur se lamente, disant : « Le désir/la nostalgie est si
cruel(le) ». Il cherche à retrouver des sensations passées
mais n'y parvient pas : « De retour dans le giron de la
lionne où j'étais autrefois chez moi / Entre tes longues jambes je
cherche la neige de l'année dernière / Mais il n'y a plus de
neige ». Ainsi le désir n'est pas aisé et semble lié au
passé, sans doute à l'enfance (ce qui sera ouvertement développé
dans Mutter). Le désir est
vu comme un idéal qu'on ne peut atteindre.
Cette
même idée transparait dans « Bück dich ». Concrètement
cette chanson exprime le désir de « je » de prendre
son/sa partenaire à quatre pattes, lui ordonnant « Penche-toi ».
Le narrateur insiste sur le fait que « Le visage ne
[l']intéresse
pas », il semble vouloir se concentrer sur l'acte sexuel et le
désir, mais cela ne fonctionne pas. « Le bipède […] / S'est
mis comme il faut à la lumière » pourtant le narrateur « [se
sent] de plus en plus mal » et se met à pleurer. Il ne
retrouve pas les sensations idéalisées du désir et ce qui devait
être une exploration des sens n'est plus qu'un acte animal qui
blesse les deux protagonistes dans un élan de dégoût.
Le
dégoût est bien évidemment une sensation liée à ce désir ardent
et, parfois, interdit. Et le seul interdit sexuel c'est bien sûr
l'inceste que Lindemann développe dans « Tier » et
« Spiel mit mir ». Le désir d'un père pour sa fille et
d'un jeune homme pour son frère mérite l'appellation « Sehnsucht »
dans la mesure où ce désir là fait à la fois souffrir la victime
qui le subit autant que celui qui l'éprouve. Le père incestueux n'est qu'un « animal » suivant son instinct et il va
faire de sa fille un monstre à son tour, puisque cette dernière va
le tuer (métaphoriquement ou non) : « Elle plonge la
plume dans le sang de cet homme ». La narration de « Speil
mit mir » lie encore plus concrètement le désir sexuel à
l'enfance : des références et images enfantines comme les
« moutons », le « feuillage de l'arbre » aussi l'attouchement vu comme un « jeu ».
Ce
lien entre sexualité et enfance et également montré par « Küss
mich » qui reprend l'image du conte de la grenouille se
transformant en prince. Chez Rammstein la transformation
n'a pas lieue et l'animal visqueux reste une image lubrique de la
femme, et de la relation amoureuse.
La
relation amoureuse est source de mélancolie et d'un désir altéré.
« Du hast » aborde cette question de manière directe :
sommes-nous capable de nous aimer pour toujours « Jusqu'aux
frontières de la mort » ? Mais entre maintenant et « la
mort du vagin » il faut faire face à la baisse du désir
(cf. « Sehnsucht ») ou encore à la jalousie. Ainsi, « Eifersuchr » présente de façon très violente ce
sentiment d'envie... de désir, désir ardent de posséder ce que
l'autre a : beauté, force, intelligence, richesse et la femme. Bien sûr, cette violence du désir va jusqu'à l'acte de
mort dans « Klavier » où l'amant tue sa bien aimée.
Dans
ce monde de nostalgie, de frustration et de violence il semblerai que
l'on puisse se tourné vers Dieu. « Bestrafe mich - Punis-moi »
demande le narrateur, comme pour se repentir de tous les pêchers
évoqués précédemment : jalousie, envie, insecte, meurtre.
Mais la punition divine n'arrive pas comme un soulagement, elle
accable d'autant plus le narrateur qui s'enfonce dans la culpabilité.
Dieu
n'est pas une solution, et l'on constate un désenchantement total
dans « Engel » : rien ne sert d'être « de son
vivant […] bon sur la Terre »
parce que nous ne serrons pas récompensés après la mort. Les anges
souffrent : « Nous avons peur et sommes seuls »
gémissent-ils. La vie est un désenchantement et aucun espoir n'est
permis, même pour l'après... C'est ce même désenchantement qui
est décrit dans « Alter mann », métaphore du non sens
de la vie.
Album
torturé, on constate que Sehnsucht
se situe dans la continuité du premier album. Une certaine maturité
a été atteinte : ce ne sont plus les peines de cœur qui sont
la trame principale de cet opus, mais l'amour dans ce qu'il a de
frustrant et de blessant avant même qui ne se soit terminé.
Toutefois, maturité ne veut pas dire apaisement : nous sommes
aux cœur des angoisses les plus profondes de Rammstein qui tenterons
de régler leurs névroses en se réconciliant avec leur enfance dans
Mutter.
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