Les textes de Rammstein, s'ils présentent un intérêt particulier à être étudiés pour eux-mêmes, entrent chacun dans la thématique de l'album auxquels ils appartiennent. C'est pour cela que je vais proposer, pour chaque album, une étude d'ensemble. Cela permet aussi de comprendre les textes par rapport à un tout et de mettre en valeur les trames thématiques propres à chaque opus, et qui rythment l'oeuvre entière du groupe.
Liebe ist für alle da – Il y
a de l'amour pour tout le monde
Quel titre étrange pour ce sixième
album. Rammstein nous avait habitué des des titres courts, à chaque
fois un seul mot (ou presque, mais Reise, reise peut être
considéré comme un seul mot!), très symbolique et à sens
multiple. Liebe ist fûr alle da
semble entrer en dissonance et avoir un sens plus restreint. Pourtant
cette phrase ne saurait mieux correspondre aux textes du groupe, non
seulement ceux de cet album, mais également à toutes leurs autres
chansons. L'amour est LE thème de Rammstein. Depuis les « peines
de cœurs » du premier opus et jusqu'à ce dernier album, Lindemann a su décrire l'amour sous toutes ces formes. Ainsi, Liebe
ist für alle se situe dans la
lignée des œuvres précédentes, leur fait écho et a un certain
goût de « point final »...
L'amour, oui, il y en a pour tous, sous
toutes ses formes. Et de la violence aussi. J'ai pu faire la
remarques pour chacun des autres albums, amour – violence est un
couple inséparable. Ainsi chaque chanson de Liebe ist für alle
da présente une narration,
conte un amour total et destructeur. En ce sens, « Ich tu dir
weh » est on ne peut plus emblématique de l'album, puisque le
texte décrit un relation sadomasochiste. « Tu es en vie juste
pour moi » dit le narrateur évoquant un amour sans limite dans
lequel les deux protagoniste sont dépendants l'un de l'autre (« Tu
es le navire, je suis le capitaine »). Et les sentiments
s'expriment ici par la douleur, une douleur physique exprimant un
désir profond : « Je te fais mal / Ça m'indiffère / Ça
te fais du bien ».
Amour
est douleur ne font qu'un dans cet opus. C'est ce que révèle
également la lecture de « B******** » et de « Wiener
blut ». La première évoque une dépendance destructrice entre
les deux amants « Deux âmes dans mon giron / Une seule peut
survivre / […]
/ Et il n'y aura pas de seconde fois ». « Wiener blut »
lie « le plaisir » à « l'obscurité ». Comme
si l'amour qui attachant deux êtres l'un à l'autre éloignait de
l'existence et du bonheur : « Que ton existence soit sans
lumière ». L'idée d'une dépendance destructrice dans la
relation à l'être aimé est exacerbée dans « Führe mich »
qui prend l'image de l'hermaphrodite (cf. « Zwitter ») :
« Deux âmes un seul coeur ». Toutefois, comme dans « Ich
tu dir weh », le bonheur de l'un dépendant de la souffrance de
l'autre : « Quand tu pleures je vais bien ».
Je
le redis, le bonheur de l'un dépend de la souffrance de l'autre.
Ceci est un thème récurant chez Rammstein (on le trouvait dans
« Feuer frei!) et il est plus particulièrement développé
dans « Halt ». Dans ce texte le narrateur ne peut plus
supporter les autres, l'existence des autres « êtres humains »
est une véritable torture : « le pire de ces bruits / Est
le battement de leurs coeurs ». Pour atteindre la bonheur, en
tous cas un certain apaisement, il doit aller « chercher son
fusil » pour que ces sœurs cessent de battre.
Comme
dans les précédents albums, l'amour révèle ce qu'il y a de plus
sombre en l'être humain, le poussant au crime. Ainsi trois textes
évoquent un viol. Le premier, « Waidmanns heil » fait
écho à « Du rieschst so gut », évoquant explicitement
la traque d'un « gibier femelle ». Le crime du chasseur
venant d'abattre sa première proie est salué par la communauté par
le « Bienvenu, chasseur ». Comme si l'acte sexuel était
le premier critère de jugement de la société sur l'individu. On
retrouve cette même idée d'une société régie par le sexe dans
« Liebe ist für alle da » : « Celui qui veut
baiser / Doit être aimable » constate le narrateur qui voit
bien qu' « Il y a de l'amour pour tout le monde / Mais pas pour
[lui] ». Comme dans « Waidmanns heil », le
narrateur se met en chasse, peu importe que la femme convoitée soit
consentante ou non : « Je la retiens / Et personne ne la
voit pleurer / […] / Il y a de l'amour pour tout le monde / Pour
moi aussi ». Enfin, « Liese » sous un aspect
pastoral décrit elle aussi un viol : « Je veux goûter un
peu ta peau / La faux va être rouillée de sang / Si tu n'es pas
gentille avec moi ».
Liebe ist für alle da
décrit aussi un sexualité sans limite ni complexe. La jouissance,
au delà de l'amour, semble le seul but à atteindre. Cette remarque
et valable pour les trois textes évoqués dans le paragraphe
précédent, et s'exprime pleinement dans « Pussy »
puisque le narrateur dit « Je veux seulement m'amuser et pas
tomber amoureux » et réclame « Juste une petite
salope ». Cette vision de la jouissance comme accomplissement
est également présente dans « Mehr » dans laquelle le
narrateur en veut « Plus ». S'il ne précise pas l'objet
de son désir, peut importe finalement, le sous entendu sexuel n'est
pas implicite. D'ailleurs, la balade « Frühling in Paris »
évoque avec mélancolie, non pas un amour de jeunesse, mais la perte
de la virginité du narrateur dans les bras d'une prostituée.
Autrement dit, il se souvient avec mélancolie des jouissances
passées qu'il n'arrive pas à retrouver, référence, selon moi à
« Sehnsucht », puisqu'ici Lindemann nous décrit un
sentiment mêlant désir et nostalgie.
Alors
finalement l'amour de Liebe
ist für alle da
n'est que du sexe ? Il semblerai et c'est ce qui rend cet album
brutal. Pourtant l'amour, celui des sentiments, n'est pas
complètement absent ici. « Roter sand » évoque le
schéma romantique du triangle amoureux. Si cette référence est
classique, presque naïve, elle à le mérite d'aborder les blessures
du cœur. De plus, cet album ne fait pas l'apologie d'une sexualité
débridée dénuée de sentiments et de toutes conséquences. Ainsi,
l'épidémie et l'évocation apocalyptique de « Donaukinder »
prend un sens particulier. Quelle maladie a décimé les enfants du
Danube ? Et bien il pourrait s'agir du désir, du sexe, qui
pervertit, qui mène l'homme à sa perte.
Enfin,
et comme dans chaque album, un seul amour est positif, un seul amour
n'est pas destructeur, un seul amour mène à la création :
Rammstein incarne cet amour. C'est la solidarité et l'éloge d'un
l'amour créateur de beau qu'évoquent « Rammleid » et
« Haifisch ». La première, (comme « Ein lied »)
évoquent la relation du groupe au public, « Si tu es triste et
seul / Nous sommes de retour, allume ! », comme un amour
idéal où chacun reçoit autant qu'il donne et où le groupe n'agit
pas que pour lui-même mais pour l'autre idéal que représentent les
admirateurs. « Haifisch » insiste sur le côté créatif
de l'amour que ces « Six cœurs qui brulent » éprouvent
les unes pour les autres. Si l'acte de création peut se révéler
complexe et douloureux, il n'en que plus beau et plus grand, c'est ce
que décrit ce passage: « Dans les profondeurs on est seul / Et
c'est ainsi que coulent des flots de larmes / Voilà pourquoi l'eau /
Dans les mers devient salée ».
Le
sexe, la violence, les sentiments et la douleurs sont la vie. Oui,
Rammstein parle de l'existence dans tous ces aspects et sans aucun
tabou. Liebe ist
für alle da
revendique le droit à l'amour. Rammstein veut de l'amour pour tous,
sous toutes ces formes, et c'est ce que le groupe parvient à
décrire. Finalement, les textes de cet album reprennent les thèmes
des opus précédents avec un certain détachement. De telle sorte
que cet album résonne presque comme un testament, un point final...
Liebe ist für
alle da :
dernier album du groupe ? Sans doute pas. « Personne ne
nous arrête » (« Haifisch »), la flamme qui les
maintient en vie est bien leur musique.
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