mardi 13 août 2013

Liebe ist für alle da - Remarques générales sur la cohérence de l'album

Les textes de Rammstein, s'ils présentent un intérêt particulier à être étudiés pour eux-mêmes, entrent chacun dans la thématique de l'album auxquels ils appartiennent. C'est pour cela que je vais proposer, pour chaque album, une étude d'ensemble. Cela permet aussi de comprendre les textes par rapport à un tout et de mettre en valeur les trames thématiques propres à chaque opus, et qui rythment l'oeuvre entière du groupe.



Liebe ist für alle da – Il y a de l'amour pour tout le monde

Quel titre étrange pour ce sixième album. Rammstein nous avait habitué des des titres courts, à chaque fois un seul mot (ou presque, mais Reise, reise peut être considéré comme un seul mot!), très symbolique et à sens multiple. Liebe ist fûr alle da semble entrer en dissonance et avoir un sens plus restreint. Pourtant cette phrase ne saurait mieux correspondre aux textes du groupe, non seulement ceux de cet album, mais également à toutes leurs autres chansons. L'amour est LE thème de Rammstein. Depuis les « peines de cœurs » du premier opus et jusqu'à ce dernier album, Lindemann a su décrire l'amour sous toutes ces formes. Ainsi, Liebe ist für alle se situe dans la lignée des œuvres précédentes, leur fait écho et a un certain goût de « point final »...

L'amour, oui, il y en a pour tous, sous toutes ses formes. Et de la violence aussi. J'ai pu faire la remarques pour chacun des autres albums, amour – violence est un couple inséparable. Ainsi chaque chanson de Liebe ist für alle da présente une narration, conte un amour total et destructeur. En ce sens, « Ich tu dir weh » est on ne peut plus emblématique de l'album, puisque le texte décrit un relation sadomasochiste. « Tu es en vie juste pour moi » dit le narrateur évoquant un amour sans limite dans lequel les deux protagoniste sont dépendants l'un de l'autre (« Tu es le navire, je suis le capitaine »). Et les sentiments s'expriment ici par la douleur, une douleur physique exprimant un désir profond : « Je te fais mal / Ça m'indiffère / Ça te fais du bien ».

Amour est douleur ne font qu'un dans cet opus. C'est ce que révèle également la lecture de « B******** » et de « Wiener blut ». La première évoque une dépendance destructrice entre les deux amants « Deux âmes dans mon giron / Une seule peut survivre / […] / Et il n'y aura pas de seconde fois ». « Wiener blut » lie « le plaisir » à « l'obscurité ». Comme si l'amour qui attachant deux êtres l'un à l'autre éloignait de l'existence et du bonheur : « Que ton existence soit sans lumière ». L'idée d'une dépendance destructrice dans la relation à l'être aimé est exacerbée dans « Führe mich » qui prend l'image de l'hermaphrodite (cf. « Zwitter ») : « Deux âmes un seul coeur ». Toutefois, comme dans « Ich tu dir weh », le bonheur de l'un dépendant de la souffrance de l'autre : « Quand tu pleures je vais bien ».

Je le redis, le bonheur de l'un dépend de la souffrance de l'autre. Ceci est un thème récurant chez Rammstein (on le trouvait dans « Feuer frei!) et il est plus particulièrement développé dans « Halt ». Dans ce texte le narrateur ne peut plus supporter les autres, l'existence des autres « êtres humains » est une véritable torture : « le pire de ces bruits / Est le battement de leurs coeurs ». Pour atteindre la bonheur, en tous cas un certain apaisement, il doit aller « chercher son fusil » pour que ces sœurs cessent de battre.

Comme dans les précédents albums, l'amour révèle ce qu'il y a de plus sombre en l'être humain, le poussant au crime. Ainsi trois textes évoquent un viol. Le premier, « Waidmanns heil » fait écho à « Du rieschst so gut », évoquant explicitement la traque d'un « gibier femelle ». Le crime du chasseur venant d'abattre sa première proie est salué par la communauté par le « Bienvenu, chasseur ». Comme si l'acte sexuel était le premier critère de jugement de la société sur l'individu. On retrouve cette même idée d'une société régie par le sexe dans « Liebe ist für alle da » : « Celui qui veut baiser / Doit être aimable » constate le narrateur qui voit bien qu' « Il y a de l'amour pour tout le monde / Mais pas pour [lui] ». Comme dans « Waidmanns heil », le narrateur se met en chasse, peu importe que la femme convoitée soit consentante ou non : « Je la retiens / Et personne ne la voit pleurer / […] / Il y a de l'amour pour tout le monde / Pour moi aussi ». Enfin, « Liese » sous un aspect pastoral décrit elle aussi un viol : « Je veux goûter un peu ta peau / La faux va être rouillée de sang / Si tu n'es pas gentille avec moi ».

Liebe ist für alle da décrit aussi un sexualité sans limite ni complexe. La jouissance, au delà de l'amour, semble le seul but à atteindre. Cette remarque et valable pour les trois textes évoqués dans le paragraphe précédent, et s'exprime pleinement dans « Pussy » puisque le narrateur dit « Je veux seulement m'amuser et pas tomber amoureux » et réclame « Juste une petite salope ». Cette vision de la jouissance comme accomplissement est également présente dans « Mehr » dans laquelle le narrateur en veut « Plus ». S'il ne précise pas l'objet de son désir, peut importe finalement, le sous entendu sexuel n'est pas implicite. D'ailleurs, la balade « Frühling in Paris » évoque avec mélancolie, non pas un amour de jeunesse, mais la perte de la virginité du narrateur dans les bras d'une prostituée. Autrement dit, il se souvient avec mélancolie des jouissances passées qu'il n'arrive pas à retrouver, référence, selon moi à « Sehnsucht », puisqu'ici Lindemann nous décrit un sentiment mêlant désir et nostalgie.

Alors finalement l'amour de Liebe ist für alle da n'est que du sexe ? Il semblerai et c'est ce qui rend cet album brutal. Pourtant l'amour, celui des sentiments, n'est pas complètement absent ici. « Roter sand » évoque le schéma romantique du triangle amoureux. Si cette référence est classique, presque naïve, elle à le mérite d'aborder les blessures du cœur. De plus, cet album ne fait pas l'apologie d'une sexualité débridée dénuée de sentiments et de toutes conséquences. Ainsi, l'épidémie et l'évocation apocalyptique de « Donaukinder » prend un sens particulier. Quelle maladie a décimé les enfants du Danube ? Et bien il pourrait s'agir du désir, du sexe, qui pervertit, qui mène l'homme à sa perte.

Enfin, et comme dans chaque album, un seul amour est positif, un seul amour n'est pas destructeur, un seul amour mène à la création : Rammstein incarne cet amour. C'est la solidarité et l'éloge d'un l'amour créateur de beau qu'évoquent « Rammleid » et « Haifisch ». La première, (comme « Ein lied ») évoquent la relation du groupe au public, « Si tu es triste et seul / Nous sommes de retour, allume ! », comme un amour idéal où chacun reçoit autant qu'il donne et où le groupe n'agit pas que pour lui-même mais pour l'autre idéal que représentent les admirateurs. « Haifisch » insiste sur le côté créatif de l'amour que ces « Six cœurs qui brulent » éprouvent les unes pour les autres. Si l'acte de création peut se révéler complexe et douloureux, il n'en que plus beau et plus grand, c'est ce que décrit ce passage: « Dans les profondeurs on est seul / Et c'est ainsi que coulent des flots de larmes / Voilà pourquoi l'eau / Dans les mers devient salée ».

Le sexe, la violence, les sentiments et la douleurs sont la vie. Oui, Rammstein parle de l'existence dans tous ces aspects et sans aucun tabou. Liebe ist für alle da revendique le droit à l'amour. Rammstein veut de l'amour pour tous, sous toutes ces formes, et c'est ce que le groupe parvient à décrire. Finalement, les textes de cet album reprennent les thèmes des opus précédents avec un certain détachement. De telle sorte que cet album résonne presque comme un testament, un point final... Liebe ist für alle da : dernier album du groupe ? Sans doute pas. « Personne ne nous arrête » (« Haifisch »), la flamme qui les maintient en vie est bien leur musique.

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